jeudi 14 novembre 2013

Fabrizio Bajec, "Loin de Dieu, près de toi - Con te, senza Dio", poème en édition bilingue, Editions L’Âge d’Homme, 2013.

Poète, dramaturge, critique et traducteur franco-italien né en 1975 et installé à Paris, Fabrizio Bajec fait partie de ces rares auteurs dont on se dit, en les lisant, qu’on aurait aimé les lire avant, et qu’on aimerait que tout le monde les lise.  Sa plume à la fois précise, incisive, intime et intelligente nous grandit immédiatement.

                                                        

Fabrizio Bajec est l’auteur d’une plaquette de poèmes intitulée Entrer dans le vide, parue aux éditions Fram en 2012. Interrogé sur sa pratique de la poésie, il dit : “J’ai toujours considéré la poésie comme un marteau-piqueur creusant dans la terre pour extraire les sucs essentiels pour l’homme. Si la poésie ne sert à rien, elle est toutefois nécessaire. Proche de la prière, une prière laïque, elle ne doit cependant jamais céder à l’envol abstrait, au leurre d’une refondation de la réalité. Elle doit, au contraire, nous dire ce que nous sommes aujourd’hui, ce que nous faisons.”

                                  Détails sur le produit        entrerdanslevide
On attendait non sans impatience son nouvel opus, intitulé en italien « Con te, senza Dio », en français « Loin de Dieu, près de toi ». C’est un choc. Certains y retrouveront Paul Celan, d’autres Allen Ginsberg (oui, deux auteurs aux antipodes !). Pourquoi ces références ? Car il s’agit d’une sorte de Kaddish prononcé tout au long de l’agonie de sa mère. En vingt étapes, le poète plonge dans ces jours gris d’hôpital, dans sa douleur, dans le déclin de celle qu’il nomme « mon amour », pour mieux les dépasser et s’ouvrir au monde.

                                                         BAJEC Fabrizio •&#8232LOIN DE DIEU, PRÈS DE TOI

« Con te, senza Dio » est un acte d’un courage extrême. Pour mieux surmonter « ce qui hurle en lui », l’auteur, non content de retranscrire une expérience terrible et presque impossible à dire, l’a traduite lui-même de l’italien vers le français, puis a retravaillé le texte italien à partir de la traduction française. Son travail de deuil, il l’a accompli à la force de la langue, de l’écriture, et par un formidable labeur de réécriture, un peu vertigineux. Paru d’abord en 2005 en italien, « Con te, senza Dio » est repris en 2009, toujours en italien, par un éditeur peu scrupuleux qui ampute le cycle des vingt stances. En 2012, l’auteur ressent « le besoin de revenir sur cette série funèbre et de la traduire de l’italien. » L’exercice difficile de la traduction lui fait comprendre qu’il doit remanier le texte italien. Ainsi, comme il l’écrit dans le court essai « D’une langue à l’autre. Un exercice d’approfondissement » qui suit le poème: « Le nouveau texte devient donc une méditation sur l’original, une étude, un approfondissement. »

                                        

« Con te, senza Dio » est sans aucun doute une œuvre d’une grande maturité et d’une clairvoyance aigüe sur la mort et les liens de famille qui apparaissent sous un jour nouveau, à la lumière blafarde du « corridor des infectés ». Fabrizio Bajec examine le lien d’amour qui l’unit à sa mère de plus en plus diaphane et grise, l’interroge sur ce qu’il éprouve pour elle (« Avais-tu prévu l’amour que je te porte ? »), dit la façon dont le mal dont elle souffre imprime sa chair à lui  (« Ton mal s’écrit en moi petit à petit. »), décrit les soins, l’attitude du père, l’ambiance de l’hôpital où la mort rôde.
« Loin de Dieu, près de toi » oscille sans cesse entre le glauque et le sublime, l’intime d’une relation filiale et des soins apportés au corps et la froideur « du service des pestiférés », le lyrisme et le réalisme.
Bajec réussit cet équilibre subtil, à la frontière du voyeurisme et de la pudeur. On a l’impression d’assister à la marche d’un équilibriste sur un fil ; à chaque pas il risque la chute. On retient son souffle. Et le poète achève son voyage sans un faux pas, dans une strophe qui contient toute la beauté et l’émotion mêlées de réalisme et qui sont la marque, l’essence de sa poésie.

Découvrir cette œuvre, c’est apprendre ou réapprendre la force de la prière.


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