dimanche 11 janvier 2015

"Les inoubliables", Jean-Marc Parisis

En se renseignant sur la rafle du Vel' d'Hiv, un écrivain tombe sur la photographie de cinq enfants, quatre frères et une sœur, qui lui sautent aux yeux. Ils ont été arrêtés avec leur mère à La Bachellerie et déportés le 13 avril 1944 après que leur père a été exécuté.

La Bachellerie, c'est en Dordogne, c'est le village où l'écrivain a passé tous ses étés d'enfant et d'adolescent, chez ses grands-parents. Flash-back. Jean-Marc Parisis se souvient, dépeint le village, puis revient à ces enfants: "Comme Alfred, Maurice, Jacques, Isaac et Cécile Schenkel, j'avais eu six, huit, dix, douze et treize ans, à La Bachellerie. Je les regarde mais ils me regardent aussi."

Ce n'est pas un roman. Jean-Marc Parisis n'a pas voulu faire oeuvre de fiction. Il a retrouvé et interrogé des témoins, notamment Benjamin Schupack, lui aussi réfugié à La Bachellerie de Strasbourg au moment de la drôle de guerre. Il a réchappé par miracle à la rafle et a occulté beaucoup d'épisodes, mais devant l'insistance de l'écrivain, il se souvient et raconte. L'arrivée massive des réfugiés alsaciens, juifs et non-juifs, en Dordogne. Comment ils ont été accueillis, acceptés, comment ils se sont organisés dans cet environnement si différent de la ville. Le départ de quelques Alsaciens non-juifs qui retournent à Strasbourg, tandis que tous les Juifs restent, ils n'ont pas le choix, "à cause des Allemands". Comment petit à petit l'étau se resserre, malgré l'activité intense de la Résistance dans la région et la complicité de la population, acquise au maquis. Las, le 21 mars 1944, "un essaim de miliciens fond sur La Bachellerie".

Jean-Marc Parisis interroge, recoupe ses informations et raconte. Depuis qu'il a vu cette photo, ces cinq enfants, qui ont comme lui vécu à La Bachellerie, c'est devenu une obsession, une obligation, un devoir; "Je les regarde mais ils me regardent aussi." Il écrit les lâchetés, les peurs, les espoirs, les actes de bravoure et de solidarité, les trahisons, il fait revivre ce microcosme emblématique de la France occupée pour mieux se souvenir des enfants Schenkel.

Jusqu'aux dernières lignes, l'auteur s'interroge sur cette quête qui s'est emparé de son être: "Que faisais-je encore là à prélever sur ces paysages la trace des yeux qui s'y étaient posés? En mars 1944, ils étaient partis pour toujours de La Bachellerie. Comme j'y revenais toujours. Toujours nous unit."

dimanche 11 mai 2014

« D’une vie à l’autre », "Zwei Leben", Georg Maas, 2013

Avec Juliane Köhler et Liv Ullmann.

                                                    D'une vie à l'autre

Une femme prend l’avion. Elle a des cheveux courts, roux. A l’arrivée, elle passe dans les toilettes et en ressort avec de longs cheveux noirs et des lunettes de soleil. Elle se rend dans un orphelinat, puis dans les archives de l’établissement.

Flash-back. Kathrine mène une vie paisible dans un petit village norvégien en bord de mer, entre un mari aimant, une mère faiseuse de fromages, une fille étudiante en droit et maman d’un adorable bébé fille, un métier de photographe et des balades en mer, en solitaire, chaque matin dans un canoë. Nous sommes en 1990, quelques mois après la chute du Mur de Berlin. Un matin, un jeune avocat se présente à son travail pour lui apprendre que les demandes de réparation des Lebensborn sont rouvertes, à la faveur de la chute du Mur. Il est reçu plus que froidement par Kathrine. Elle est née d’une union entre une Norvégienne et un soldat allemand. Elle a été enlevée à sa mère, placée dans un orphelinat en RDA, et a réussi à s’enfuir en 1969 pour rejoindre sa mère en Norvège. La Cour européenne entend ouvrir un procès contre le gouvernement norvégien qui a séparé les mères norvégiennes de leurs enfants « de la honte », et interné ces mères dans des camps.

Bizarrement, Kathrine refuse de témoigner. Son refus, difficilement compréhensible, va attiser la curiosité de l’avocat et entraîner une suite d'événements qui vont précipiter Kathrine et sa famille dans un engrenage aboutissant au dévoilement de la vérité.

Car que se cache-t-il derrière son refus ? Le poids de l’histoire et du mensonge finiront-ils par engloutir Kathrine et sa famille ? Quel est ce cauchemar récurrent qui hante les nuits de Kathrine ? Sur quoi construit-on nos vies ? Comment se débarrasse-t-on de ses fautes ? S’en débarrasse-t-on vraiment ?

« D’une vie àl’autre » ne cesse de gagner en intensité dramatique, jusqu’à la révélation de Kathrine sur son identité et le mensonge sur lequel elle a bâti sa vie. Espionne un jour, espionne toujours...

Entre l’Allemagne et la Norvège, le passé et le présent, le mensonge et la vérité, Georg Maas réalise un film dense, tendu, nerveux, entre le thriller psychologique, le film historique et le film d’espionnage. Une œuvre à charge contre la Stasi, ce service d’espionnage et de contre-espionnage de la RDA, au service de l’URSS pendant la Guerre froide, qui n’hésita pas à enrôler des orphelins. Un film sur l’amour aussi. Le choix. Le courage et la liberté.


Sur vos écrans depuis le 7 mai.

samedi 3 mai 2014

"ETE 14 : les derniers jours de l’ancien monde"

Cet été, le 4 août exactement, cela fera 100 ans que la Première Guerre Mondiale aura commencé. Aussi inattendue que meurtrière, on s’interroge encore aujourd’hui sur les raisons qui ont poussé l’Europe à s’embraser et à pousser des millions d’hommes à s’entretuer dans ce qui est considéré très vite comme une véritable boucherie. Cet affrontement prévu pour durer peu de temps s’étala sur 4 ans et faucha 12 millions de soldats.

L’exposition passionnante qui s’est ouverte à la BNF le 25 mars s’attache à la période s’étalant du 23 juillet au 4 août 1914. Elle rappelle l’assassinat à Sarajevo, le 28 juin 1914, de l’archiduc héritier du trône d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, par un jeune nationaliste serbe de Bosnie, Gavrilo Princip. Dès lors, les ambassades s’emballent. L’Autriche-Hongrie veut profiter de l’affront pour donner une leçon à la Serbie et affirmer sa supériorité. Le 23 juillet, l’Autriche adresse un ultimatum inacceptable à la Serbie ; c’est le début de l’escalade qui va embraser la région. L’Allemagne s’en mêle, persuadée que l’affrontement demeurera localisé. Or les Russes se mobilisent le 30 juillet, entraînant les grandes puissances européennes à faire de même : le 1er août est déclaré l’ordre de mobilisation générale en France et en Allemagne, le 3 août l’Allemagne déclare la guerre à la France, le 4 août l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique et la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

2 août 1914, mobilisation : la foule lisant les affiches. Photographie Agence Rol | BnF, dpt des Estampes et de la photographie 2 août 1914, mobilisation : la foule lisant les affiches. Photographie Agence Rol

L’exposition réunit des ordres de mobilisation, alors placardés dans les rues, des lettres d’ambassade, retraçant le jeu diplomatique et le processus de déclenchement de la guerre, des images d’archive de cet été 1914, radieux entre tous, particulièrement chaud, des lettres de soldats, des uniformes français, allemand, anglais et serbe avec leurs fusils, des mitraillettes. Les témoignages d’écrivains et philosophes pris dans la tourmente s’étalent sur 3 murs. Einstein avait 35 ans et était un pacifiste convaincu : « Ou vous êtes pour la guerre, ou vous êtes contre la guerre. » Dans une lettre à Sigmund Freud, il écrit : « Comment est-il possible que la masse, par les moyens que nous avons indiqués, se laisse enflammer jusqu’à la folie et au sacrifice ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : l’homme a en lui un besoin de haine et de destruction. »  Marie Curie, à 47 ans, s’engage sur le front et crée 18 unités chirurgicales mobiles. Stefan Zweig, alors en villégiature en Belgique, croise l’armée allemande en route pour envahir le plat pays, « en dépit de tous les principes du droit des gens. Je remontai dans le train en frissonnant et continuai mon voyage vers l’Autriche. Il n’y avait désormais plus de doute : j’entrais dans la guerre. » Romain Rolland, lui aussi pacifiste convaincu et ami de Stefan Zweig, écrit dans un article pacifiste publié en septembre 1914 : « Il est horrible de vivre au milieu de cette humanité démente et d’assister, impuissant, à la faillite de la civilisation. »

L’exposition montre aussi la propagande, l’armée allemande caricaturée comme un dieu Thor monstrueux, des soldats allemands introduits dans une maison française et s’attaquant à un enfant, les exactions commises de part et d’autre et exagérées à l’extrême dans l’imaginaire des civils. Il n’en reste pas moins que face à la puissance de feu déployée par les belligérants, les hommes sont tous égaux : impuissants, mortels, tétanisés par la violence des armes, des canons, des obus qui les fauchent comme des mouches.

Alors, pourquoi cette guerre ? D’après Jean-Jacques Becker, Président d’honneur du Centre de Recherche de l’Histoire de la Grande Guerre et professeur à Nanterre, aucune solution n’a été trouvée à la crise de l’été 1914 en raison d’une « extraordinaire concurrence de médiocrité parmi les chefs de gouvernement à ce moment. »


Eté 14. Les derniers jours de l’ancien monde. Jusqu’au 3 août 2014. Site François Mitterrand. Exposition coproduite avec le ministère de la Défense dans le cadre du centenaire de la Première Guerre Mondiale. 

Cet article est également paru sur le site de L'Arche.  

"1973, Journal de guerre Vincent de Cointet". 2013. Chapitres 1 et 2.

Vincent de Cointet, journaliste et réalisateur, revient sur la guerre de Kippour, traumatisme national en Israël, en se concentrant sur les dirigeants de l’époque, la volonté inflexible de Sadate de récupérer le Sinaï, l’aveuglement criminel de Golda Meir et Moché Dayan, l’erreur de jugement d’Henry Kissinger.

                               

1967. Après l’attaque conjointe de l’Egypte, de la Syrie et de la Jordanie, Israël sort vainqueur et récupère Jérusalem-Est, la Cisjordanie, le plateau du Golan et le Sinaï. Les Israéliens installent la ligne Bar-Lev le long du canal de Suez, constituée de bunkers fortifiés. En Israël, c’est la liesse et le début d’une ère d’insouciance, assortie d’un fort sentiment de supériorité.

                                   

1969. Anouar el-Sadate est élu Président de la République égyptienne. Les Egyptiens n’ont jamais supporté de se voir amputés du SinaÏ. Lors d’une interview télévisée, il déclare que l’Egypte ne capitulera jamais. Il est entendu par un diplomate aux Nations Unies, qui rédige un accord entre l’Egypte et Israël et le soumet à Sadate, qui l’entérine. Golda rejette l’accord, qui stipule qu’Israël rende le Sinaï à l’Egypte en échange de la promesse égyptienne de ne pas attaquer Israël ; elle ne fait pas confiance aux Egyptiens, et préfère conserver le Sinaï comme zone tampon. Le documentaire s’attache à montrer l’échec des tractations diplomatiques, qui poussèrent Sadate, acculé par son peuple, à déclarer la guerre à Israël.

                                  

Il rencontre Brejnev pour le persuader de lui vendre des avions Mig, dont l’armée égyptienne a besoin afin d’asseoir sa suprématie dès les premières heures de l’attaque ; il rencontre Kissinger pour lui demander de convaincre les Israéliens d’accepter de rendre le Sinaï. Golda est inflexible ; la guerre est inévitable. Elle était prévue, Sadate ne cachait pas ses intentions, les Israéliens l’ont sous-estimé. Informés par un espion proche du gouvernement égyptien, ils refusent d’y croire. Golda Meir était parfaitement au courant de la date de l’attaque. Mais les Israéliens étaient liés par une promesse faite aux Etas-Unis de ne pas attaquer les premiers. Pas d’attaque préventive ! De plus, ils ne croient pas à cette guerre, malgré toutes les informations dont ils disposent.

                                     

Cet aveuglement coûtera la vie à 3000 Israéliens. Attaqués le 6 octobre, jour de Kippour, à 14h par l’Egypte et la Syrie, Israël met trop de temps à rappeler ses réservistes, qui forment le gros de Tsahal. Les premiers jours sont catastrophiques : la ligne Bar-Lev est anéantie, les Israéliens massacrés. L’armée égyptienne avance. Puis s’arrête au bout de 7 kms. Ni Sadate ni Assad ne voulaient rayer Israël de la carte : ils voulaient juste récupérer leurs territoires perdus en 1967. En Israël, c’est la panique : Golda et Dayan sont tellement surpris par l’attaque qu’ils pensent que la fin d’Israël est arrivée. Ils parviennent à convaincre Kissinger du danger, il met en place un pont aérien d’armes. Puis, contre toute attente, Sadate commet une erreur : pour redonner confiance à son allié syrien, qui rencontre une forte résistance sur le Golan, il fait avancer ses troupes, contre l’avis de son général en chef, qui sait que si les tanks égyptiens s’enfoncent plus avant dans le Sinaï, ils se retrouveront à la merci de l’aviation israélienne. Sadate s’entête, et cette décision irréfléchie marquera un tournant décisif dans la guerre de Kippour. Le 14 octobre, les tanks égyptiens s’avancent et se font décimer par Tsahal ; l’armée israélienne reprend du poil de la bête, Ariel Sharon s’en mêle, jette un pont sur le canal de Suez, avance en Egypte. Le vent a tourné, l’armée égyptienne est défaite, un cessez-le-feu sera bientôt déclaré, et une crise politique majeure éclatera en Israël.

                                   


Le documentaire s’achève sur la visite de Sadate en Israël, en 1977. Très souriant, trop peut-être, riant volontiers, côte-à-côte avec Golda Meir. Leur entêtement et leur aveuglement ont provoqué une guerre dont Israël ne s’est pas encore totalement remise. On sort de ces deux heures avec un fort sentiment de gâchis : tous ces morts pour de la terre… était-ce bien raisonnable ?

Ce documentaire était présenté au Festival du Cinéma israélien de Paris.

Cet article est également paru sur le site du magazine de L'Arche.

« Bureau 06 ». 2013. 58 minutes. Yoav Halevy.

Qui n’a pas entendu parler du procès Eichmann ? sa capture par une équipe du Mossad en Argentine, comment il fut ramené en Israël, sa froideur, ce petit homme à lunettes dans sa cage de verre, l’émotion suscitée en Israël, la volonté de Ben Gourion d’en faire un événement pédagogique, l’émergence dans le pays de la question de la Shoah, la fameuse théorie de la banalité du mal par Hannah Arendt… mais qui sait ce qui se cache derrière ce procès, à savoir, son organisation, la récolte des preuves, le travail des enquêteurs sur le meurtre de six millions de Juifs… ?

Ce n’était pas un travail d’enquêteur de police, mais d’historien. 15 ans après la fin de la 2nde Guerre Mondiale, un des cerveaux de l’extermination des Juifs se trouvait entre les mains de ses victimes. Avec toutes les preuves récoltées contre lui, ils auraient pu le tuer au bout d’un jour. Mais il fallait faire un procès en bonne et due forme, pour l’exemple, au grand jour, pour montrer aux Israéliens nés dans le pays avant la catastrophe ce qu’avaient subi leurs frères qui avaient survécu et à qui ils reprochaient de s’être laissé tuer comme des moutons. Pour libérer la parole aussi. Une équipe de choc est mise sur pied, tous policiers, tous parlent allemand, chacun s’occupe d’un pays d’Europe, l’un d’eux est préposé aux documents ayant trait à Eichmann et le gaz… Pendant 9 mois, 6 jours sur 7, jusqu’à 18 heures par jour, ils lisent, s’instruisent, découvrent des horreurs, tant et plus, reçoivent des témoignages de Juifs du monde entier, pensent Shoah, parlent Shoah, respirent Shoah. Ils sont investis d’une mission sacrée. Ce sont eux les véritables architectes du procès le plus marquant de l’histoire du 20ème siècle.

      

L’un d’eux, en raison de l’excellence de son allemand, est chargé d’interroger Eichmann. Il passe ainsi de nombreuses heures enfermé avec le monstre, à l’écouter plus qu’à l’interroger. Car Eichmann a beaucoup parlé, mettant au service de l’équipe des heures et des heures d’enregistrement, dûment retranscrites. C’est un face-à-face d’égal à égal : les deux hommes ont le même grade dans la hiérarchie militaire, Eichmann donne sans cesse du « Jawohl, Herr Hauptmannquelque chose » à son interlocuteur. Discipliné. Hitler lui dit d’exterminer, c’est son supérieur, il extermine. Quand il demande à l’Israélien s’il a des parents, des frères et sœurs, l’homme lui répond que son père a été déporté par les nazis ; Eichmann lui répond : « Mais c’est horrible ! C’est horrible ».


On n’y comprendra jamais rien.

Ce documentaire était présenté au Festival du Cinéma israélien de Paris.


Cet article est également paru sur le site du magazine L'Arche.

« Leibowitz: Faith, Country and Man ». 1h. Uri Rozenwaks, Rinat Klein.

Le Festival du Cinéma Israélien a présenté cette année la première partie du documentaire sorti en 2013 sur un géant aussi adulé que honni de sa génération : Yechayahou Leibowitz.

Impossible de demeurer indifférent face à la hauteur d’âme du « Prophète d’Israël ». Le documentaire montre quatre de ses petits-fils, qui partent sur ses traces. L’un d’eux, filmé dans le jardin de l’immeuble où vivait son grand-père, à Jérusalem, nous apprend que le décès de son grand-père reste mystérieux. Un de ses cousins le rejoint, on les suit dans le quartier où a vécu Leibowitz, on entre à leur suite dans la synagogue Yechouroun où il priait quotidiennement, assis au 2ème rang, entouré d’un « feu sacré » tout le long de la prière, indifférent à ce qui l’entourait. Car Leibowitz était avant tout un croyant. Tel Maïmonide, il servait Dieu de manière indifférente. Il n’attendait rien de Lui. Il Le servait car il est écrit que les Juifs doivent le servir. Le verset dit qu’il faut surmonter sa nature humaine, tel le lion, et servir Dieu. Leibowitz explique qu’il n’est pas dans la nature humaine de servir Dieu, de se lever tous les matins, de poser les Tefilin, mettre le Talith et prier ; c’est pourtant par ce travail divin que l’Homme se libère de sa condition humaine. « Dieu n’est pas une koupat ‘holim (caisse de maladie)». Leibowitz ne demandait rien à Dieu dans ses prières. Il se contentait de prier.

Il considérait les gens qui allaient prier au Kotel comme des idolâtres : ce n’est pas en se rapprochant de pierres qu’on se rapproche de Dieu. Il abominait les gens qui ne respectent pas chabat, couchent à gauche à droite, et viennent se racheter une conduite en priant au Kotel. Absurde. Immoral. Insupportable pour l’homme ultra moral qu’il était.

Le documentaire part à la rencontre de disciples de Leibowitz, dont le chanteur Ehoud Banaï, qui explique sa Téchouva (retour au judaïsme) et sa compréhension de la prière grâce à Leibowitz, qui affirmait que peu importe ce que l’on dit, pourvu que l’on prie. Il est écrit que l’on doit prier, alors on le fait, un point c’est tout. La liturgie n’est qu’un habillage. On peut réciter des chiffres si ça nous chante. Un rabbin interrogé se montre sceptique face à cette froideur de la foi leibowitzienne : s’il n’y a pas d’amour dans la relation Homme – Dieu, à quoi bon ? Autant tout laisser tomber.

Une spécialiste de Leibowitz pointe les failles du système de pensée de l’homme : il écrit qu’on a beau avancer dans l’étude et le service divin, on en restera toujours au même point. Autrement dit : ce n’est pas pour soi qu’on est croyant, ce n’est pas pour s’améliorer : c’est pour servir Dieu.

Leibowitz et son épouse ont perdu deux fils. Interrogé par une journaliste, il affirme que le temps n’amoindrit pas la douleur. Et qu’il n’en reste pas moins croyant.


Le documentaire montre encore tellement de gens, d’images d’archive… il ne fait pourtant qu’effleurer l’œuvre monumentale du plus grand penseur de son époque, grand spécialiste de Maïmonide, docteur en philosophie, chimie, médecine, biochimie, enseignant en neurologie, biologie, neuropsychologie, philosophie. Penseur et croyant. Homme de foi. 

mercredi 2 avril 2014

"Dancing in Jaffa", la suite: Interview de Pierre Dulaine le 11 mars à l’hôtel des Saints-Pères


                                                     

Pierre Dulaine est un véritable gentleman. Avant l’interview j’ai commandé un thé qui m’a été servi sur un plateau. Il vient me chercher et prend d’autorité le plateau. Il m’escorte ainsi jusqu’au petit salon où il reçoit les journalistes. Il se montre très bavard, charmant ; les 45 minutes qui me sont imparties passent comme dans un rêve. Je demande d'emblée pardon aux non-anglicistes, qui comprendront que transcrire 45 minutes d'interview en anglais c'est déjà pas facile, alors en plus les traduire en français... et qui utiliseront Google Translate pour comprendre cette interview, ou se décideront à prendre des cours d'anglais.

Do you speak Hebrew?

No, I say « Sliha sliha », I say « Rega, rega ! », “Ehad, chtayim, chaloch”, “ma chlomkha, ma chlomkhim, ma chlomekh”, two or three words, that’s all.

Ok. So, I will begin with you. Why did you come to the dance, why did you choose to learn this dance, when you were a kid?

You know, I was born in Palestine, and we came to live in Ireland. My father was Irish, protestant, my mother Palestinian catholic, they told him: “we don’t like your wife, she’s catholic, she’s Arab, we don’t want that”, so we went back in Jordan, and I go to the College des Frères, Saint Jean Baptiste de la Salle, a French school, so we were able to speak French at school, Arabic on the street and only English at home.  My father got working with the United Nations, and then Suez Canal crisis went along, before you were born, so we lost our home again, we then came to England, Birmingham. So the thing is, I took up dancing there, because I felt very alone, I didn’t have confidence, I spoke English with funny accent, and people made fun of me at school. There was a girl in ma class, in school, who invited me seeing her dance, I went, I started. It was a place where I could lose myself, and I started being with adult people, I was 14 years old, I was accepted, so your confidence grows. 55 years later, I want to give back something to society, I chose the dance that did a lot for me. I enjoyed it, I became a champion, I earned my money from it, so I was very blessed, very lucky.

When you began to learn, wasn’t it difficult? What reaction did you have? Did you like it immediately?

I had a very bad teacher. She was a bitch. Really was, I’m sorry. I grew up listening only, mainly, to Arabic music. I didn’t understand the music I had to dance on, and she didn’t have much patience. I was very very bad, but I became good. My father died when I was fifteen, when he was 47 years old, very young man, which left my mother foreigner in England, so we didn’t have any money. I used to go deliver newspapers in the morning before school, and I also cleaned two cars at the week-end, to make the money. And this money payed for my dancing classes. I was not good, but I stayed with it. Then I moved down to London. Pierre Dulaine is a professional name. I was Peter Heney. But at the French school people called me “Pierre”. When I came to London I wanted people to call me “Mister Pierre”, but they didn’t let me do, they thought it was old fashioned, I had to have a nom, not a prénom. I thought I’m gonna be famous one day and I didn’t like Pierre Heney.

Why not?

It doesn’t go!

Why not?

It is not a rhythm.

Ok... (pas convaincue mais bon on n’allait pas y passer 107 ans).

So a friend of me made it Dulaine. Because it’s 2 syllables: Pi-erre Du-laine and when the English people see it, they can pronounce it. If they year it, they can write it.
And in my passport, I have two names: my birth name, and my professional name. So many times when I’m in Israel, oh my god... three hours interrogation in, three hours interrogation out. “You were born in Jaffa, why don’t you have an Israeli passport?” anyway....

Did you stay calm?

No, I lost my temper. Well, not exactly. Someone interrogates me for 10-15 minutes, and then someone else comes in, and: the same questions. Anyway; I understand.

Ok. How did you have the idea of these dancing classrooms?

You come to a place, a time, in your life, that you want to give something back to society. And, because dancing changed me a lot, I volunteered my way to the school and it was successful, I liked it, the kids loved it, and so slowly I began the program. So, it is not like starting a business, where you have a three year or four year plan, it was little bit little bit and then suddenly... “pop”!

And now you have lots of partners in 5 countries...

That is correct, 31 cities, 5 countries, over 400 000 children have done the program, so I am very proud of the fact that the program continues in Israel. And this is Miri Sharaf Levi who helped me find the 5 schools. And I visited Israel three timesbefore the program started, September, December and January, meeting with the parents, with the schools...

It was the first time you came to Israel?

Yes, but before that, my mother had tried to get our house back. You know the “taboo”? In Hebrew? The Land Registry Office. (le cadastre). My grandfather left the house to his wife Rosa, and my mother and her sisters married English people, so they can claim it. They payed a lot of money to a lawyer, but it didn’t happen.

The scene in the movie is very hard. I didn’t understand why you couldn’t even approach the house.

I will tell you. I knew the man, I’d seen him, he lives there illegally, they were renting from my grandmother, and they paid my mother some rent, but they stopped paying afterwards, and I had been up to the roof, and I wanted Yvonne to go up. But with Yvonne, they wanted to film, and he would have been seen on film. And that’s the reason of the “get out of here”.

I guess it was a very difficult experience for you.

Yes. I didn’t believe that he didn’t want us to go in, and that he wanted to shoot us.

That was frightening.

He was really angry. And that gives you the context. When I meet with the Palestinian parents, they accepted me because I speak Palestinian-Arabic. And I gave them the idea that I wanted to give their children confidence, self-esteem. To dance with the Jews was another thing. But the third and more important thing is that it is being filmed, which means other people in the Arab communities will see their children dancing with a Jew. And what will they say? This gives you the context of this man. He’s an Arab.

Back to the dance and the kids. I don’t understand why you show the video of the dance with Yvonne only at the 10th lesson. Why not earlier?

They’re not ready for it. Our program is ten weeks long, two times a week. On lesson number ten, we show the children in America video clips of different people dancing. And then on lesson number 12, we have a guest teacher come. So they need to have learned a few rhythms first. So by lesson number 10, they will have learnt meringue, fox-trot, rumba, polka. They will have learned four dances, plus some hip-hop. And so by then we have them in our hands, a little bit. But when Yvonne arrives, that’s when it changes. Completely.

                                           

Are there any kids who participated in these dancing classrooms in Israel or elsewhere who continue in dance just like you and become champions or professionals?

Yes. The answer is yes. We are very lucky in NYC being our headquarters, I have my own dancing studio on the fifth avenue. I started 15 years ago a week end program called Dancing Classrooms Academy. And the children who have our program in schools, we invite them to come at the week-end, to continue dancing. They pay very little money, and they have classes from 10 to 6 o’clock, on Saturday and Sunday, and we have over 600 children participate. A few of them who go now to college, aged 17-18, have become amateur competition, and they do quite nicely. One of them is now one of our teachers. In Israel, the program exists in Jaffa, Tel Aviv, Haifa, Galilee.

Why not in Jerusalem?

Not yet. It’s very difficult, because in America the schools don’t have money, they pay us 50% . The other 50% we must go begging. Fundraising is not easy in Israël. Jewish people are very very generous with their money, for hospitals, for museums, and they want to see their name out there, but for education, they don’t seem to do that.

Noor, Lois, Alaa, the children are friends by the end of the documentary. Are they still friends?

Yes. They are in Paris right now. And the mother of Lois.

She’s a funny person. She’s a yiddishe mamma. You know what it means?

Well, Miri Sharaf was my yiddishe mamma, because she used to bring the food...

Did it create links between the schools that participated in the program?

Good question. I don’t know. Noor and Lois go to the same school now, cause they went from elementary to middle school, not in the same class, and Alaa of course is in an Arab school. Parents have kept in contact, but have the schools stayed in contact? That’s lovely to hear. I don’t know. The problem is, I did a special thing, by bringing them a third time to the Jewish Arab community centre. The program is 2 times a week in their respective schools. But on Monday, one class from here, one class from here, come to there after school, on Tuesday, another 2 class, so instead of 30 kids I’m teaching 60. So I had 20 sessions with them on their own, and only 7 sessions together. So it was very difficult for me, the first 3 or 4 sessions, when they were together. It only became easier after. But Miri doesn’t have that opportunity, she can’t make them meet. They only meet at the very end, for a party. There is no competition, it takes time. In New York we did it after 6 or 7 years.
It takes time to get the program growing, but I think she (Miri Sharaf Levy) will. But again, it’s about money. It costs money.  

                          
                                     
                      Les enfants juifs et palestiniens se rencontrent au centre socio-culturel 

So for the moment, the program in Israel doesn’t make the Arab and the Israeli children meet. Only at the end, at the party. In the documentary, we felt it was your aim to make them meet and know each other. We understood it was for peace. Peace was your aim.

I don’t know. It takes time, but I honestly don’t know. My condition to do this was that: I could only do it if I could bring them together. The program in other countries is not designed like that. By the way, last year, I was in Belfast, where my father was born. As you know there are many problems in Belfast, with the Protestants and Catholics, even now, but I worked in 2 Catholic schools, and 2 Protestant schools, and I brought them together. And it was lovely. But the program is not continuing there, there’s no bloody money in the school system to put this. My dream (but I don’t know if I will be alive) is to have the program “Dancing Classrooms” in every school, in every city, in every country.
Because, in Jaffa we had many problems with this classroom teachers, who said that I’m taking time away from the history or from the geography lessons. The dancing lessons were on the time of the school day, otherwise we would have 20 girls and 2 boys. Dance lessons is the only opportunity to teach them life skills.

Did you try to have a partnership with the government, with the ministry of education? With the cities?

Miri Sharaf opened the doors for me. She said to the Arab schools that I was coming to see the schools. She didn’t speak about the dance lessons. Then I had to charm them.

In Hebrew we say: Kol hakavod.

Yes, I learnt it.

What is the next country where you want to create these dancing classrooms?

I have wonderful friends at the Dancing board who are from France. The head of the Fédération de Danse en France would like the program to continue. I think that thanks to people like him and you, writing about it, something will happen. Last night, I saw a young man after the movie, asking me how he can do to get the program in the school where he teaches dancing. I gave him my card and told to send me an email that I will transfer to my head office. There is interest. I was in Luxembourg, in Berlin, where I met a Palestinian doctor, a woman, who said there was much problem between the Jewish community in Berlin and the Palestinian community. Would I be interested to go over there and bringing them together? It’s a matter of time. Cause I think it’s truth, we’re going back to truth here. And it takes time. It’s ok.

What happened with the little Israeli girl who was so angry at you?

She was the worst kid in the class, never participated, never wanted to dance. For the competition, I chose the kids together with the classrooms teachers. We wanted the best dancers. And she was not the best dancer and she was a trouble maker, and she refused to dance. And suddenly she’s not picked! But she came to final competition with her friends to cheer.

                                               
                         La petite Israélienne, furieuse de n'avoir pas été choisie pour la compétition....

I did not know that Noor had no father, I did not know that Lois was from a sperm bank, I did not know any of these stories until I saw the film.

Come on!

I was too busy with the classes, we had no time to talk! When they finish with me, they have to go film the children. We have 400 hours of footage.

How did they choose? It’s so difficult to choose which scene they will keep...

That’s what I mean. At the beginning they film everything every minute. And then slowly it bubbles up. And so they have five or six children.

There was only one camera?

Every day yes, but at the competition there were 3.

And how did they choose Noor, Alaa, Lois? It was just a matter of feeling?

The director did a lot of homework afterwards, meaning, which one had a story to tell that would move the story forward. In a documentary you’re just shooting and then the story is coming to you. Hila Medalia chose which kids would be the stars.

So it’s a coincidence, that among the children you chose for the competition, there were the three children that were chosen to be the stars of the film?

That’s a very very good question. You have to remember that we had problems getting them together; I had no problem with Alaa, and no problem with Lois. Lois wants to dance. So that was an easy choice. I started with about 150 children, I ended up with 125, and then for the competition 84. So it’s a big percentage of the children that were competing. So it had to be those kids in any case.


                                                    Alaa et Lois s'entraînent                                           Lois et Alaa à la compétition


So I guess now you continue to teach?

I’m retired. J’ai 70 ans. April 23 is my birthday. I am now the ambassador for “Dancing Classrooms”, I’m the founder and ambassador.

Ok, I think that’s all...

You’re beautiful Johana, thank you! Mucho mucho, walla! So well prepared!

Thank you Pierre, I have one last question: are you still in contact with some kids from Jaffa? On Facebook?

On Facebook, yeah. They’re wonderful kids. They put things on Facebook, I like it, I wish them happy birthday... It’s important; it’s special.

It was a pleasure. Thank you. Really.

Il me raccompagne en position d'escorte, en me donnant le bras. Quand je vous disais que Pierre Dulaine est un vrai gentleman....

"Dancing in Jaffa" est sorti le 2 avril dans les salles de France. ALLEZ-Y!!!