lundi 25 février 2013

Etgar Keret: Pipelines

Pipeline                                      

Premier recueil de nouvelles, publié en Israël en 1992, et déjà un coup de maître pour cet auteur hors-normes, radicalement novateur et différent. Invité au Salon du Livre à Paris en 2008, Etgar Keret se disait ravi de la parution de ce premier opus en France, où il compte de nombreux adeptes. Elevé dans une famille libérale hostile à toute notion de discipline, on imagine non sans peine ses difficultés d’adaptation à l’armée, où il rédigea ces nouvelles dignes des plus grands. L’influence kafkaïenne y est très forte, ainsi qu’une certaine atmosphère propre aux écrivains d’Europe centrale avec lesquels Keret se sent plus d’affinités qu’avec ses comparses israéliens. C’est absurde, court, saisissant. Keret pulvérise les formes et les standards de la nouvelle, les histoires s’enchaînent à un rythme fou, calqué sur le rythme de ce pays dont les pires travers sont caricaturés ici à outrance. 

L’armée bien sûr en prend pour son grade, la dérive raciste anti-arabe aussi, particulièrement frappante dans la troisième nouvelle : Ce ne sont pas des hommes. Lors d’une patrouille à Gaza, des soldats s’en prennent à un Arabe, sans que Stein, horrifié par la violence de ses collègues, ne puisse rien faire : « A trois mètres de Stein, l’officier a approché le couteau du ventre de l’Arabe tremblant, sans qu’il puisse intervenir. D’un geste rapide, il a fendu le ventre en deux, des drapeaux roulés se sont répandus sur le sol, des tracts, des bonbons et des jetons de téléphone. (...) Le Circassien a déroulé un des drapeaux, c’était celui de l’OLP. (...) Le Circassien a déshabillé l’Arabe qui, après avoir été vidé, était plat comme un tapis. Il l’a plié en huit et l’a posé sur la roue de secours de la Jeep. « Dis donc, le Circassien, qu’est-ce que tu vas en faire ? » a demandé Zanzouri. « Une housse pour la mobylette, un parasol, est-ce que je sais, moi ? Ca servira bien à quelque chose. » ».

 Vous l’aurez compris, Etgar Keret manie un humour noir d’autant plus savoureux qu’il lui permet de mettre à jour la réalité la plus abjecte. Le rythme effréné et le style caustique ne faiblissent pas tout au long de ces cinquante-deux nouvelles où il est question aussi bien de l’amour en enfer, de Dieu le nain, de la mort des premiers-nés ou du meurtre d’Hitler. L’Histoire, la petite histoire, le Mossad, les relations homme-femme, l’enfance, le bonheur impossible, rien n’échappe à la plume anti-conformiste, jouissive et libre d’Etgar Keret, écrivain obsédé par les nains. D'où peut-être sa prédilection pour la nouvelle?


Nouvelles traduites de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech. Actes Sud, mars 2008.

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