lundi 25 février 2013

Amos Oz: Scènes de vie villageoise



Amos Oz invente un village, Tel-Ilan, peuplé d’habitants névrosés, obsédés, malheureux. Chaque nouvelle s’attache à un personnage et distille une inquiétude diffuse qui finit par laisser comme un goût de film d’horreur. Personnages fantômes, disparus, phénomènes troublants, inexplicables, Tel-Ilan semble synthétiser toutes les angoisses d’un auteur dont le dernier opus, Vie et mort en quatre rimes, ne nous avait pas habitués à un ton aussi inquiétant. Virage extrême donc pour ce recueil inachevé, troublant, qui explore le côté sombre de l’âme humaine. Le ton est donné dès la première nouvelle qui voit apparaître un homme qui se dit en famille avec le personnage principal et qui finit par s’allonger dans le lit de la mère impotente en la caressant et l’embrassant, sans que son fils ne s’y oppose. Ailleurs, le médecin de Tel-Ilan attend en vain son neveu Gideon en permission de l’armée. Cette attente est un prétexte à une petite virée dans le village, que nous commençons à découvrir, et surtout à l’évocation de moments passés avec l’enfant qu’elle aime plus que tout au monde. Plus loin le maire reçoit un message énigmatique de son épouse : « Ne t’inquiète pas pour moi », au moment où il s’apprête à rentrer à la maison pour déjeuner avec elle. Elle n’est pas à la maison et il part à sa recherche dans tout le village. L’agent immobilier va visiter une maison ancienne qu’il souhaite acheter et détruire afin d’y reconstruire une maison plus moderne et la revendre. Accueilli par la fille des propriétaires, une étudiante, il tombe sous le charme de la bâtisse et de la jeune fille, au point de ne plus ressortir… un adolescent suit la postière-bibliothécaire, charmante jeune femme, et entreprend de la séduire. Un vieil homme gâteux qui vit avec sa fille célibataire croit entendre des bruits sous la maison chaque nuit, comme si on y creusait. Sa fille n’y croit pas, jusqu’au moment où elle aussi commence à les entendre… Un couple dont le fils s’est suicidé en se tirant une balle dans la tempe alors qu’il se trouvait sous le lit parental organise toutes les six semaines une soirée chants. Lors d’une de ces soirées, un des convives se sent inexplicablement attiré ailleurs et finit dans la chambre condamnée depuis le drame. Il croit y voir une forme bouger… Atmosphère inquiétante, troublante, dérangeante. Le désir y affleure sans jamais aboutir à une histoire d’amour qui risquerait d’illuminer ces sombres pages. Il ne faut pas y chercher un message, simplement se laisser porter par cette prose étonnante, qui campe avec précision un village imaginaire avec des noms de rues, de places, une géographie hyper-réaliste, par contraste avec ces récits aux intrigues nettement esquissées mais jamais achevées. Au final, un brillant exercice de style.


Amos Oz, Gallimard, janvier 2010

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