lundi 25 février 2013

Lizzie Doron: Pourquoi n'es-tu pas venue avant la guerre?




Pourquoi n’es-tu pas venue avant la guerre ?
        
C’est la question posée par un kibboutznik à Héléna, rescapée de la Shoah, à la recherche de personnes de sa famille qui auraient survécu, peut-être... L’incompréhension de cet homme, fier d’être venu en Israël avant la catastrophe et d’avoir participé à l’édification de son kibboutz, renvoie Héléna à son statut de victime impuissante face aux barbares, puis face aux réactions de ces Israéliens qui ont fui avant le désastre. 

Ce livre retrace le portrait d’Héléna par sa fille pour sa petite-fille. C’est un acte de transmission cher à la tradition juive, rejetée par Héléna de toutes ses forces de survivante qui n’accepte pas d’avoir perdu toute sa famille dont elle égrène les prénoms de façon vindicative devant le Saint des saints pendant la prière du Yzkor à Yom Kippour. Elle n’assiste pas à l’office mais reste sur le balcon de la maison de prière toute la journée pour ne pas rater cette litanie qui représente son seul dialogue avec Dieu. « Dans la synagogue, le silence régnait. Parmi l’assemblée des hommes, les gorges se desséchaient, les yeux s’embuaient et, dans la galerie des dames, on se passait des mouchoirs pour essuyer les larmes qui ruisselaient. De l’arche sainte, la mélopée continuait de monter et, l’un après l’autre, les noms s’élevaient dans l’espace, suivis par un nouveau sanglot. A la fin de la liste, on n’entendait plus les pleurs d’Héléna, mais un chœur de gémissements. » (p. 35). 
Ce livre dégage une émotion palpable. C’est difficile d’en parler. Il faut le lire. Lizzie Doron y restitue l’image poignante d’une femme meurtrie mais fière, intransigeante (elle n’acceptait aucun produit ni cadeau d’Allemagne), hantée par ses morts et cependant pleine d’une rage de vivre pour pouvoir les rappeler au souvenir de Dieu, une fois l’an de façon publique, tous les jours en privé. La force de cette femme réside dans sa douleur. La question posée par le kibboutznik, Pourquoi n’es-tu pas venue avant la guerre ?, elle la retourne contre Dieu : Pourquoi as-Tu laissé faire ? C’est son credo, son incompréhension, sa folie. A une jeune fille religieuse qui ne cesse d’invoquer le Très-Haut par d’insupportables « Dieu soit béni », Héléna rétorque : « Mais oui, mais oui, six millions. »
C’est souvent drôle. C’est tragique. Il faut se souvenir d’Héléna.


Roman traduit de l’hébreu par Esther Ifrah.
L’histoire de ma mère.

Editions Héloïse d’Ormesson, 2008

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