lundi 25 février 2013

Aharon Appelfeld: La chambre de Mariana




A l’âge de onze ans, Hugo est séparé de sa mère qui le place chez une fille de joie pour le sauver de la déportation. Son père a déjà été raflé, et sa mère, après de vaines tentatives pour le remettre à des paysans, se voit obligée de le confier à une amie d’enfance, Mariana, qui a mal tourné.  Enfant belle et attirante, elle a quitté l’école trop tôt, fascinée par l’argent que lui donnaient les hommes ; ses parents la rejetèrent et elle entra en maison close à l’âge de quatorze ans, pour n’en sortir qu’à la faveur de l’avancée des troupes russes, le temps d’une brève échappée belle avant de finir tragiquement son existence sordide illuminée par sa rencontre avec Hugo. 
    Hugo et Mariana, l’enfant juif et la fille de joie, la pureté et la luxure, si étroitement mêlés qu’ils finissent par se fondre sous nos yeux en un seul et même personnage, multiple et magnifique, victime de la barbarie nazie, puis de la barbarie russe. Tout est flou dans ce roman initiatique, alors que tout devait rester clair ; quoi de plus dissemblables qu’un enfant juif et une femme enfermée dans une maison close ? Mais voilà que Hugo va lui aussi se retrouver enfermé dans cette maison à laquelle il ne comprend rien au départ, et dont les secrets vont lui être révélés au fur et à mesure de son éducation sensuelle, puis sexuelle. Car Mariana le séduit... car il séduit Mariana. Il est à sa merci, dépendant d’elle pour sa nourriture, son salut. Il est fasciné par sa beauté, son extrême féminité, ses caresses et ses baisers. Elle attend patiemment le moment où elle pourra en faire son homme. Elle a la nostalgie des hommes juifs, plus doux et prévenants que les autres.

 Amoral et troublant, La chambre de Mariana a la douceur hypnotique des séductions lentes et raffinées, où les gestes et les mots se répètent à l’envi pour nous enfermer dans un piège fatal, inévitable, indécent. La fuite de ce couple improbable devant l’avancée des troupes russes s’apparente à un retour au paradis ; ils errent en pleine nature, seuls enfin, libres de pouvoir s’aimer. Chacune de leurs étreintes est un moment de grâce. Il est aussi beaucoup question de langage et de mots dans ce roman largement autobiographique dont l’auteur, après son évasion du camp de Transnistrie à l’âge de dix ans, et son errance en compagnie des marginaux, des voleurs et des prostituées, a affirmé n’avoir plus de langue. 
 

Editions L'Olivier, 2008 

Je ne peux que vous encourager à lire toute l’œuvre d'Aharon Appelfeld.

Ci-joint le lien vers la très belle interview d'Aharon Appelfeld réalisée en 2009 pour Arte par Serge Moati:

 http://www.arte.tv/fr/serge-moati-rencontre-le-grand-ecrivain-aharon-appelfeld/2151166,CmC=2558056.html

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