Un huis-clos amoureux, un plaidoyer contre la barbarie, un magnifique
exercice de style, une leçon d’histoire et d’écriture… c’est un peu de tout
ceci qui se joue sur la scène du Petit Hébertot jusqu’au 23 février. Inspirée
de la correspondance de Stefan Zweig, la pièce retrace les deux années d’exil
de l’écrivain à Londres, de 1934 à 1936. Le plus grand écrivain autrichien de
son époque, admiré de tous, ami de Freud, Romain Rolland, Richard Strauss, a
compris tout de suite ce qui se jouait dans son pays. Perquisitionné un matin
par quatre policiers qui cherchent des armes chez ce pacifiste qui ne se bat
que par les mots, il décide en une nuit de quitter son pays qui l’a vu naître
et accéder à la gloire littéraire. Il ne s’éloigne pas trop cependant ; il
choisit Londres comme exil, cette capitale si proche de l’Europe, qui saura
tenir tête à Hitler. Là il peut respirer enfin, parler librement de tout et de
rien dans les salons de thé sans avoir peur de se faire dénoncer, et assister
impuissant à l’engloutissement de l’Europe sans pouvoir rien faire d’autre
qu’écrire. Il reprend son manuscrit sur Erasme à la demande de sa nouvelle
secrétaire, choisie par sa compagne restée en Autriche. Avec l’aide de la jeune
femme, il entreprend la rédaction d’une biographie sur Marie Stuart, dont on se
demande si elle ne parle pas autant sinon plus de lui-même que de la reine
d’Ecosse exécutée à 24 ans par un bourreau saoul qui dut s’y reprendre à trois
reprises avant de la décapiter. Stefan Zweig se plonge dans la vie et l’âme de
la souveraine pour mieux résister à la montée du nazisme, à la fureur qui a
envahi l’Europe et l’en a chassé, lui, l’Européen convaincu qui avait apporté
ses lettres de noblesse à la langue allemande. Après un court séjour en
Autriche, il revient à Londres, toujours sans sa compagne, dégoûté par
l’attitude de ses anciens amis, et prend la décision de ne plus écrire dans sa
langue maternelle. Tiraillé entre l’amour qu’il éprouve pour sa secrétaire et
la tendresse qu’il ressent encore pour Fridericke, qui vient parfois à
Londres vérifier l’avancée de sa production littéraire et l’état de son homme, il
trouve un défouloir dans l’écriture.
Monique Esther Rotenberg a su écrire une partition magnifique de justesse
et d’intelligence. Elle rend Stefan Zweig dans toute sa complexité d’écrivain
chassé de chez lui, incompris de la femme qu’il aimait et de ses amis, enfermé
dans son orgueil et sa détresse d’homme sensible, traumatisé par l’inexorable
montée du nazisme, les livres brûlés, la victoire de la bêtise et de la haine,
furieux après ce régime qui le réduit à un seul aspect de sa
personnalité : juif. Son ami Richard Strauss insiste pour faire figurer le
nom de l’écrivain banni sur l’opéra qu’il a créé et dont Zweig a rédigé le
livret. Après trois représentations, « La Femme silencieuse » est
interdite. A Berlin, on brûle ses œuvres. En 1936, Zweig et Lotte, sa
secrétaire, partent pour le Brésil, où il est attendu pour une série de
conférences. La pièce s’achève sur la perspective de ce départ, promesse d’une
nouvelle vie pour un écrivain trop lucide, trop sensible, que la défaite de la
raison européenne et la honte causée par les horreurs de l’Allemagne finiront
par rattraper en 1942 à Pétropolis.
Les comédiens Pierre-Arnaud Juin, Corinne Jaber et Olivia Algazi sont tout
simplement parfaits.
« La femme silencieuse », une pièce de Monique Esther Rotenberg,
mise en scène par Pascal Elso, au théâtre du Petit Hébertot jusqu’au 23
février, du mercredi au samedi à 20h, dimanche à 15h. Réservation au 01 42 93
13 04.
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