Quoi de plus universel que la danse ? Quoi de plus beau que la
danse ? Quoi de plus romantique que la danse de couple ? quoi de plus
difficile que la danse de couple, prélude ou non à l’amour, en tout cas à
l’amitié, certainement à un contact physique, à une rencontre, forcément ?
Prenez Pierre Dulaine, danseur professionnel de danse de couple, champion du monde de danse de salon, né à Jaffa en
1944, élevé en Angleterre, revenu en 2011 à Jaffa avec un rêve fou : faire
danser ensemble des enfants juifs et palestiniens.
Pierre et sa partenaire Yvonne Marceau
Prenez Jaffa, ses populations qui se côtoient sans pour autant se mêler, à part dans deux
ou trois écoles dites mixtes, qui accueillent enfants juifs et palestiniens,
pour une éducation à la tolérance.
Prenez Lois, petite blondinette israélienne, Alaa, un enfant palestinien au
sourire lumineux vivant dans une cabane à Ajami, le quartier le plus pauvre de
Jaffa, avec son père pêcheur et sa petite barque, sa mère toujours souriante,
ses frères et sœurs. Prenez Noor, l’enfant blessée par la mort de son père
alors qu’elle avait 6 ans, élevée par une mère convertie à l’Islam, qui la
traîne dans les manifestations anti-israéliennes et sur la tombe du mari
disparu. Prenez Rachel, enseignante dans l’école mixte, ravie de l’arrivée de
Pierre qui partage ses vues de tolérance et d’ouverture à l’autre.
Loïs et Alaa Noor
Voyez comme ils dansent. Ça n’est pas allé sans peine : c’est
difficile, la danse de couple ! Au-delà des contingences du conflit israélo-palestiniennes, il faut danser avec l’autre sexe ! Pierre demande cet
effort à des enfants âgés d’une dizaine d’années. C’est inimaginable pour les
Palestiniens. Une forte culture de séparation des sexes règne là. Un garçon ne
touche pas une fille, alors danser avec ! C’est ce qu’explique une mère
palestinienne, voilée, à un Pierre Dulaine compréhensif mais têtu. Il insiste,
explique tout ce que la danse de couple peut apporter aux enfants : goût
de l’effort, discipline, confiance en l’autre… au final, le plaisir de danser,
de partager des moments rares, de construire avec un autre, sur des musiques
entraînantes.
Il faut voir Pierre Dulaine expliquer aux parents israéliens comment leur
enfant marche aujourd’hui, et comment, grâce à la danse, le corps se développe,
la tête se relève, les épaules aussi, et au bout d’un an, l’enfant ne marche
plus tête baissée, il danse, fier, ouvert au monde. Une mère acquiesce,
souriante. Quand il leur expose son projet de faire danser leurs enfants avec
des enfants d’une autre école, une école arabe, on sent une certaine tension
chez ces adultes, mais pas de refus.
Pierre Dulaine est resté 15 semaines à Jaffa. Il a tenté de visiter la
maison où il est né, peine perdue. Il a enseigné la danse de couple à 5 écoles
et 150 enfants. Grâce à lui, la petite Noor, renfermée au début, agressive,
rejetée par ses camarades, a éclos comme une fleur. Car elle danse bien, Noor,
à tel point qu’elle est sélectionnée par Pierre pour la compétition de fin de
cycle. Sa métamorphose est saisissante. Elle est sans aucun doute la plus belle
réussite de Pierre à Jaffa. Cette compétition, c’est la cerise sur le gâteau,
la récompense ultime pour ces enfants qui se sont trouvés jetés dans cette
aventure somme toute éprouvante par leurs enseignants et Pierre Dulaine,
persuadés que la danse, « véritable école de tolérance », est un
vecteur idéal pour parvenir à connaître et respecter l’autre. Et ça marche !
Malgré toutes les difficultés rencontrées, les réticences de certains enfants au début de l'aventure,
on les voit anxieux au moment de cette sélection, désireux de participer à la compétition; c'est un véritable crève-cœur pour
Pierre qui voudrait tous les y emmener, mais faute de place, il doit en choisir
6 par école. Quelle fierté pour les élus ! Quelle amère déception pour les
autres…
Les répétitions débutent, les enfants les prennent très au sérieux, ils veulent
gagner ! Les couples sont mixtes, pour mieux favoriser ce rapprochement
entre les communautés. Lois la Juive s’entraîne avec Alaa d’Ajami, le fils du
pêcheur palestinien. Au début ça se passe chez elle, sous les yeux attentifs et intrusifs de
la mère (eh oui, les mères juives, on les refait pas...). Un jour, Alaa invite sa partenaire et amie chez lui… il l’emmène faire
un tour en barque, pour une parenthèse légère loin des adultes et de leur
présence pesante. On dirait un couple d’amoureux… le lendemain elle raconte à
l’école, ses amies la charrient : « c’est ton petit ami ! »
Oubliée, la différence, oublié, le conflit, c’est un monde d’enfants, naïf,
fraternel, pur.
Le jour de la compétition, les petits couples de danseurs sont sur leur
trente-et-un, les parents Juifs et Arabes se pressent dans les gradins, les uns
à côté des autres. On est venu applaudir les enfants qui ont fourni pendant un
trimestre des efforts démesurés : vaincre la peur de l’autre,
l’appréhension à approcher l’autre sexe, le ridicule de ces danses de couple…
il faut avouer que ce n’est pas dans cette discipline qu’on attend des enfants
de 10 ans. Et pourtant. Ça leur a plu ; ils ont bossé leurs pas, ils sont
devenus des pros du merengue, de la salsa, du rock, de la valse… quand ils
s’élancent sur le parquet de la salle du centre socio-culturel au son des
mélodies délicieusement désuètes, tellement entraînantes, on reste ébahi par
leur aisance et le plaisir qu’ils éprouvent, palpable. On voit des enfants danser, et c'est beau.
Pari réussi. Il faut continuer à rêver, à espérer, à encourager ce genre
d’initiative.
Les « Dancing Classrooms », initiés par Pierre Dulaine en 1994,
existent actuellement dans 5 pays, toujours dans l’esprit de rapprocher des
communautés « ennemies ». Le programme se poursuit en Israël à Jaffa,
Tel-Aviv et Haïfa, où il réunit un millier d’élèves.
Pierre Dulaine a été incarné à l’écran par Antonio Banderas dans le film
« Dance with me ».
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