mercredi 3 avril 2013

Bertolt Brecht: "Maître Puntila et son valet Matti"

Le TNS, Théâtre National de Strasbourg, présentait du 19 au 27 mars 2013 une pièce de Bertolt Brecht mise en scène par Guy Pierre Couleau, "Maître Puntila et son valet Matti". Cette pièce évoque un valet, également chauffeur, aux prises avec un maître déroutant, alcoolique au dernier degré, et en cela ingérable, complètement cyclothymique, insupportable. La représentation dure trois heures, et malgré une certaine longueur, surtout vers la fin quand on n'a pas assez mangé et qu'on est mal assis, c'est une réussite. Les acteurs sont tantôt survoltés, tantôt tendres, toujours justes, le parti-pris est volontiers foutraque, poétique, exagéré. Mais de quoi s'agit-il au juste?

Puntila est riche, très riche. Il veut marier sa fille, la jolie et capricieuse Eva, promise depuis son enfance à celui qu'on appelle "l'attaché", car il travaille dans le corps diplomatique. Pour assurer la dot de sa fille, Puntila doit vendre une de ses forêts. Jusqu'ici tout va bien. Sauf que Puntila change d'avis et d'humeur comme de chemise, au gré de son alcoolisme. S'il est un soir d'accord pour vendre sa forêt, il peut le lendemain vouloir la conserver. Le mariage d'Eva dépend donc du degré d'alcoolisme de son fou de père. Dans le même temps, Matti, le chauffeur-valet d'humble extraction, est amoureux d'Eva et va tenter de la conquérir; elle va se laisser faire car elle n'est pas insensible au charme rude et direct de l'homme du peuple, tellement plus viril que son promis d'attaché. Oui mais voilà; il se trouve qu'Eva, sans pour autant être alcoolique, est aussi capricieuse que l'est son père, influencée sans doute dans son comportement de petite fille gâtée par l'attitude irresponsable de Puntila, capable de se fiancer en une nuit à 4 femmes, et de les répudier de la façon la plus abjecte huit jours plus tard...


A partir de là, Guy Pierre Couleau a choisi une mise en scène à la hauteur du texte de Brecht: c'est fou, génial, c'est du très grand théâtre, qui mêle le fou rire à l'horreur de certaines scènes, comme celle où Puntila, censé "acheter" des ouvriers au "marché aux esclaves", refuse de leur signer un contrat sous le prétexte complètement imbibé qu'il veut être l'ami de ses ouvriers, alors pourquoi un contrat? un des deux le suit malgré les recommandations de Matti, et se retrouve tout habillé dans le sauna de l'alcoolique, où on l'oublie tandis que la petite société bourgeoise rit et s'ébat au soleil. Tant et si bien que le pauvre malheureux se retrouve quasi-grillé... cette scène est surréaliste: de la fumée et une odeur de grillé s'échappent de la petite baraque en bois, où l'ouvrier s'évanouit sans que personne ne se porte à son secours, trop occupés par la mauvaise humeur de Puntila... l'horreur et le rire, le burlesque total, tout au long de la pièce. On hésite sans cesse entre le fou rire et le dégoût que nous inspire ce maître aux idéaux communistes quand il a bu, et qui redevient capitaliste et inhumain une fois dégrisé. 

Brecht nous propose une réflexion politique sur les riches et les pauvres, les puissants et les faibles, les hommes et les femmes. Écrite en 1940, la pièce n'a pas pris une ride. Et cette mise en scène est inoubliable. C'est un morceau de bravoure pour Pierre-Alain Chapuis et Luc-Antoine Diquero, qui jouent respectivement Puntila et Matti, et qui portent la pièce de leur puissance et de leur présence scénique hallucinantes. Vers 23h30 la représentation s'achève sur une troupe exténuée et ravie, c'était la dernière, ovationnée par un public conquis par cette performance de haut-vol qui n'a rien à envier aux meilleures productions théâtrales parisiennes.

             Pierre-Alain Chapuis tient le rôle de Puntila et a retenu un texte d'une longueur incroyable! c'est un exploit. 

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