lundi 25 février 2013

Orly Castel-Bloom: Textile



Da’el est tireur d’élite à l’armée. Pour supporter l’angoisse, sa mère, Mandy Gruber, directrice de l’usine de pyjamas pour ultra-orthodoxe Nani-ni-Nuit, s’offre régulièrement des opérations de chirurgie esthétique : les anesthésies lui procurent des instants de répit. Son père, Irad Gruber, est un génie qui a inventé l’escalator en spirales, ce qui lui a valu le prix d’Israël et une commande de l’Etat pour travailler à un vêtement anti-attentat. Sa soeur Lirit vit avec Shlomi, un looser de quarante ans, dans une ferme bio dans le Néguev. La famille a déménagé depuis peu dans le quartier tout récent de Tel Barukh nord, au nord de Tel Aviv. Un quartier à l’architecture occidentale, proposant  penthouse, duplex et autres triplex pour Israéliens fortunés. Le père ne supporte pas ce nouvel appartement dans ce nouveau quartier sans histoire, sans mémoire. Même les arbres n’y sont pas israéliens, les concepteurs ayant jugé bon d’y transplanter des palmiers importés dans le pays au cours des années 90, comme nous l’apprend la première page de ce roman atypique, fable moderne sur une certaine société israélienne aisée et occidentalisée à outrance. Appelée par sa mère hospitalisée pour prendre sa place à la direction de l’usine, la fille se perd dans ce luxe retrouvé, profite du jacuzzi et de l’écran plasma, en oublie de rendre visite à sa mère qui succombe des suites de la greffe de nouvelles omoplates. Opération pratiquée par un éminent chirurgien israélien installé en Allemagne, ce qui lui vaudra l’appellation de « boucher de Dresde » par le jeune médecin de service, effrayé par l’état de sa patiente. 

Portrait au vitriol d’une famille désunie, de la société consumériste, de la perte des valeurs et de l’innocence, Textile est un texte tissé de plusieurs destins qui s’entrecroisent, ou se croisent brièvement sans jamais se rencontrer. Parfois des liens se nouent, puis se défont, et l’histoire suit son cours, acide, cynique, géniale. Constat lucide et désenchanté, personnages paumés, touchants, irritants. Les rues de Tel-Aviv parfois citées nous rendent ce roman sensiblement authentique. On se dit qu’on les a peut-être croisés, Da’el le sniper et sa mère tellement refaite et bien habillée qu’elle ressemble à une œuvre d’art. On se dit surtout qu’on a découvert un auteur qui a des choses à dire, qui les dit intelligemment, et qu’on ne va pas la lâcher.



roman traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
   Actes Sud     mars 2008

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire