Ce documentaire de Dror Moreh, après avoir fait beaucoup de bruit en Israël
et ailleurs, été nominé pour l’oscar 2013 du meilleur documentaire, débarquait
mardi soir 5 mars sur Arte. Il ne fallait évidemment pas le rater, et pour ceux
qui l’ont loupé, ils peuvent encore le voir en replay jusqu’au mardi 12 mars sur
le site d’Arte. Et pour ceux qui n’en auront pas le temps, acheter le DVD en
vente depuis le 6 mars. Pourquoi toutes ces précisions ? Parce qu’on n’a
pas le droit de ne pas voir ce film quand on s’intéresse à Israël et au fameux
conflit israélo-palestinien.
Les six derniers dirigeants du Shin Bet, les services secrets israéliens
chargés de la défense d’Israël par, entre autres, la lutte contre le
terrorisme, défilent devant la caméra de Dror Moreh et devant nous, téléspectateurs
médusés par la franchise de ces hommes en apparence calmes, en réalité rongés
par des années de lutte, le doute et les remords. Entre 1980 et 2011, Avraham Shalom, Yaakov
Peri, Carmi Gillon, Ami Ayalon, Avi Dichter et Yuval Diskin se sont succédés à
la tête du Shabak et ont eu à faire face à deux intifadas, au terrorisme
palestinien, au terrorisme de l’extrême-droite juive, aux attentats suicide, à
l’assassinat de Rabin. Ils ont orchestré des assassinats ciblés, formé des
informateurs, interrogé des terroristes, alimenté des banques de données,
réfléchi au meilleur moyen de se débarrasser des têtes pensantes du terrorisme
palestinien : téléphone portable piégé, largage de bombes d’une tonne ou d’un
quart de tonne…
Tout ça pour quoi ? ils admettent volontiers que tuer les chefs
terroristes ne mène pas à moins de terrorisme : après l’assassinat de
Cheikh Yassine, Nasrallah est apparu. Tous sont d’accord pour affirmer qu’Israël
n’a pas d’autre choix que le dialogue, avec tout le monde, insiste Avraham
Shalom, même avec le Hamas, même avec Ahmadinedjad. Mais on se souvient, et le
documentaire le montre, que lorsque le Fatah de Yasser Arafat a accepté de
renoncer au terrorisme, le Hamas est apparu, et le terrorisme n’a pas cessé.
Ami Ayalon, en poste de 1996 à 2000, raconte qu’alors qu’il se trouve à Londres
avec une délégation palestinienne, au plus fort de la deuxième intifada, un
psychiatre palestinien lui dit que les Palestiniens ont vaincu. Et d’expliquer
à un Ayalon interloqué que plus les Palestiniens souffrent, plus les Israéliens
souffrent, et que ce que les Palestiniens veulent, c’est voir les Israéliens
souffrir.
Dans ce cas, comment la paix est-elle possible ? Dror Moreh pose des
questions dérangeantes à ces hommes fatigués, concernés, lucides : comment
le Shin Bet n’a-t-il pas vu venir la première intifada ? Comment le Shin
Bet n’a-t-il pas pu éviter l’assassinat d’Itzhak Rabin ? ce à quoi ils
nous répondent : qui a prévu la chute du mur de Berlin ? et que
Rabin, que Carmi Gillon suppliait d’accepter que sa sécurité soit renforcée et
qu’il porte un gilet pare-balles, répondait qu’il était un ancien du Palmakh.
Se sentait-il invincible ? Peut-être ne pouvait-il tout simplement pas
croire qu’un Juif pourrait un jour tirer sur un autre Juif.
Il ressort de ce documentaire que le Shin Bet, donc le gouvernement israélien, a fait des erreurs et que ses
dirigeants (du Shin Bet) les reconnaissent volontiers, que jamais on n’a vu autant de
dirigeants d’un service de renseignements d’un pays se livrer si facilement et
avec autant d’honnêteté face à une caméra, que depuis 1967 Israël mène une
politique auto-destructrice, car, comme le disait en substance et de manière
prophétique Yéchayahou Leibowitz dès les débuts de l’occupation, un pays ne
peut contrôler une population d’un million d’habitants sans y perdre son âme. Moreh cite le philosophe et demande à Yuval Diskin ce qu'il en pense : "Je suis d'accord avec chaque mot." C'est énorme. Quand
on sait que c’est sur les conseils du Shin Bet qu’Ariel Sharon s’est retiré de
Gaza, on ne comprend pas pourquoi, à l’époque, le même Shin Bet n’a pas eu le
cran de conseiller aux dirigeants israéliens de cesser l’occupation. Peut-être
que le visage de ces quarante dernières années en Israël en aurait été changé.
The Gatekeepers
Documentaire de Dror Moreh (France/Israël, 2012, 1h35mn)
Coproduction : ARTE France, Les films du poisson , Dror Moreh Productions, Cinephil, Wildheart Productions, Macg uff, NDR, IBA, RTBF.
Documentaire de Dror Moreh (France/Israël, 2012, 1h35mn)
Coproduction : ARTE France, Les films du poisson , Dror Moreh Productions, Cinephil, Wildheart Productions, Macg uff, NDR, IBA, RTBF.
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