jeudi 7 mars 2013

Dror Moreh: "The Gatekeepers"



 



Ce documentaire de Dror Moreh, après avoir fait beaucoup de bruit en Israël et ailleurs, été nominé pour l’oscar 2013 du meilleur documentaire, débarquait mardi soir 5 mars sur Arte. Il ne fallait évidemment pas le rater, et pour ceux qui l’ont loupé, ils peuvent encore le voir en replay jusqu’au mardi 12 mars sur le site d’Arte. Et pour ceux qui n’en auront pas le temps, acheter le DVD en vente depuis le 6 mars. Pourquoi toutes ces précisions ? Parce qu’on n’a pas le droit de ne pas voir ce film quand on s’intéresse à Israël et au fameux conflit israélo-palestinien.

 Avraham Shalom     Yaakov Peri     Carmi Gillon     

Les six derniers dirigeants du Shin Bet, les services secrets israéliens chargés de la défense d’Israël par, entre autres, la lutte contre le terrorisme, défilent devant la caméra de Dror Moreh et devant nous, téléspectateurs médusés par la franchise de ces hommes en apparence calmes, en réalité rongés par des années de lutte, le doute et les remords.  Entre 1980 et 2011, Avraham Shalom, Yaakov Peri, Carmi Gillon, Ami Ayalon, Avi Dichter et Yuval Diskin se sont succédés à la tête du Shabak et ont eu à faire face à deux intifadas, au terrorisme palestinien, au terrorisme de l’extrême-droite juive, aux attentats suicide, à l’assassinat de Rabin. Ils ont orchestré des assassinats ciblés, formé des informateurs, interrogé des terroristes, alimenté des banques de données, réfléchi au meilleur moyen de se débarrasser des têtes pensantes du terrorisme palestinien : téléphone portable piégé, largage de bombes d’une tonne ou d’un quart de tonne…

        Ami Ayalon      Avi Dichter          Yuval Diskin

Tout ça pour quoi ? ils admettent volontiers que tuer les chefs terroristes ne mène pas à moins de terrorisme : après l’assassinat de Cheikh Yassine, Nasrallah est apparu. Tous sont d’accord pour affirmer qu’Israël n’a pas d’autre choix que le dialogue, avec tout le monde, insiste Avraham Shalom, même avec le Hamas, même avec Ahmadinedjad. Mais on se souvient, et le documentaire le montre, que lorsque le Fatah de Yasser Arafat a accepté de renoncer au terrorisme, le Hamas est apparu, et le terrorisme n’a pas cessé. Ami Ayalon, en poste de 1996 à 2000, raconte qu’alors qu’il se trouve à Londres avec une délégation palestinienne, au plus fort de la deuxième intifada, un psychiatre palestinien lui dit que les Palestiniens ont vaincu. Et d’expliquer à un Ayalon interloqué que plus les Palestiniens souffrent, plus les Israéliens souffrent, et que ce que les Palestiniens veulent, c’est voir les Israéliens souffrir. 
                                                                  
Dans ce cas, comment la paix est-elle possible ? Dror Moreh pose des questions dérangeantes à ces hommes fatigués, concernés, lucides : comment le Shin Bet n’a-t-il pas vu venir la première intifada ? Comment le Shin Bet n’a-t-il pas pu éviter l’assassinat d’Itzhak Rabin ? ce à quoi ils nous répondent : qui a prévu la chute du mur de Berlin ? et que Rabin, que Carmi Gillon suppliait d’accepter que sa sécurité soit renforcée et qu’il porte un gilet pare-balles, répondait qu’il était un ancien du Palmakh. Se sentait-il invincible ? Peut-être ne pouvait-il tout simplement pas croire qu’un Juif pourrait un jour tirer sur un autre Juif. 


Il ressort de ce documentaire que le Shin Bet, donc le gouvernement israélien, a fait des erreurs et que ses dirigeants (du Shin Bet) les reconnaissent volontiers, que jamais on n’a vu autant de dirigeants d’un service de renseignements d’un pays se livrer si facilement et avec autant d’honnêteté face à une caméra, que depuis 1967 Israël mène une politique auto-destructrice, car, comme le disait en substance et de manière prophétique Yéchayahou Leibowitz dès les débuts de l’occupation, un pays ne peut contrôler une population d’un million d’habitants sans y perdre son âme. Moreh cite le philosophe et demande à Yuval Diskin ce qu'il en pense : "Je suis d'accord avec chaque mot." C'est énorme. Quand on sait que c’est sur les conseils du Shin Bet qu’Ariel Sharon s’est retiré de Gaza, on ne comprend pas pourquoi, à l’époque, le même Shin Bet n’a pas eu le cran de conseiller aux dirigeants israéliens de cesser l’occupation. Peut-être que le visage de ces quarante dernières années en Israël en aurait été changé. 



 The Gatekeepers
Documentaire de Dror Moreh (France/Israël, 2012, 1h35mn)
Coproduction : ARTE France, Les films du poisson , Dror Moreh Productions, Cinephil, Wildheart Productions, Macg uff, NDR, IBA, RTBF.

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