Il est difficile d’écrire une critique sur Shai Agnon. Son talent éclipse soudain toute velléité d’écriture. On est immédiatement charmé par sa prose intemporelle et naïve, à l’image de ses protagonistes, un groupe de Hassidim, hommes et femmes, qui vendent leurs biens et quittent Buczacz, ville de Galicie orientale, pour entreprendre un long et aventureux voyage qui les mènera à Jérusalem, aboutissement de leurs prières et de leurs efforts. C’est un conte hassidique émaillé de nombreuses citations bibliques, de psaumes chantés par « nos chers frères et sœurs » pour se donner du courage et louer Dieu de ses nombreux bienfaits. Ils traversent l’Europe orientale, font halte dans des bourgades où ils bénéficient de l’accueil toujours chaleureux et empli de déférence des habitants, Juifs et non-Juifs, car ils partent pour la Terre Sainte, et elle l’est aussi bien pour les Juifs que pour les Chrétiens. Ils s’embarquent pour Constantinople, rencontrent les Juifs orientaux, avec qui ils partagent la dernière étape : la traversée de la Méditerranée, qui leur réservera bien des surprises.
Le lecteur est introduit au cœur de cette
petite communauté par le biais d’un personnage qui se révèle bientôt posséder
d’étranges pouvoirs : il s’agit de Hananiah, sorti de nulle part pour se
joindre à ces Hassidim qui montent s’établir en Terre d’Israël. Au-delà de la
naïveté du conte hassidique, Shai Agnon nous offre de belles descriptions de
son continent natal, cette vieille Europe dont il est parti deux fois pour
s’installer en Israël. Le fantastique n’est pas en reste, avec l’intervention
du Diable en empêcheur de faire son alyah en rond. Le thème de son premier
roman écrit en Terre promise, Agounot, « Les épouses
abandonnées », se retrouve en pointillés dans ce conte écrit en 1926 et
qui remporta le prix Bialik en 1934, consacrant ainsi l’écrivain comme le
premier prosateur hébraïque de son temps. Bialik lui-même considérait Au cœur des mers comme le chef-d’œuvre de la nouvelle littérature hébraïque,
et la disparition du maître le fit accéder au rang d’écrivain phare de sa
génération.
Agnon, de son vrai nom Czatczekes, est monté deux fois en Israël où il forgea son nouveau nom sur la racine hébraïque "oguen", qui signifie à la fois délaissé et ancré. Ce nom résume à lui seul Au cœur des mers et l’aventure de chaque nouvel immigrant.
Agnon, de son vrai nom Czatczekes, est monté deux fois en Israël où il forgea son nouveau nom sur la racine hébraïque "oguen", qui signifie à la fois délaissé et ancré. Ce nom résume à lui seul Au cœur des mers et l’aventure de chaque nouvel immigrant.
Conte
présenté et traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses
nrf,
Gallimard
Editions
Gallimard, 2008, pour la traduction française.
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