Les Chiens et les Loups, publié en 1940 aux
éditions Albin Michel, réédité en 2004, est sorti en livre de poche en 2008. Il nous offre une peinture toute némirovskyenne
d’un destin juif peu commun : Ada, enfant juive née dans la ville basse
d’une ville ukrainienne, est amoureuse de son riche cousin Harry, issu de la
ville haute. Shtetl, pauvreté, pogrome, ascension sociale, exil à Paris,
description du milieu de la finance juive, scandale financier qui rejette Ada
en Europe orientale... Une vie marquée par la passion. Du shtetl à Paris, Ada
ne change pas, obsédée par son amour pour son cousin, vivant dans une autre
sphère, peignant les paysages de son enfance, cette Ukraine aux sombres hivers
et aux étés éclatants de couleurs. C’est par son art qu’elle parviendra à se
lier à Harry, pauvre petit Juif riche de la fortune colossale amassée par son
grand-père, le « vieux Sinner, si riche que, dans l’imagination des Juifs,
Rothschild seul le surpassait en prestige et en fortune (le Tsar Nicolas II
occupait la troisième place) » ; élevé à l’abri de tout besoin, dans un
luxe ostentatoire typique aux parvenus, Harry, si civilisé, si Français, que la
vue de deux tableaux suffira à troubler par leur puissance d’évocation de
l’ambiance de son enfance, enfouie quelque part en lui et qu’il n’a pas
oubliée.
Peu d’écrivains ont décrit comme Irène
Némirovsky la violence des pogromes, cependant atténuée par le point de vue de
l’enfant (« et elle s’endormit au son des premières pierres qu’on lançait
sur les vitres de la ville basse. »), le fossé qui séparait les Juifs
pauvres des riches, le luxe affiché par ceux-ci, leur volonté de paraître
Français à tout prix, la vaine tentative d’étouffement du bouillonnant
caractère juif oriental sous des couches de ‘civilisation’, mais qui reparaît à
la moindre émotion, la rencontre des ‘races’ juive et française, car Irène
Némirovsky emploie ce mot, et ne se contente pas de le placer dans la bouche de
ses personnages. Les Chiens et les
Loups, c’est un tourbillon de sentiments, de personnages, de désirs, de
mots, c’est une trajectoire hallucinée, passionnée, tragique, qui se clôt sur
un chapitre mêlant la violence de troubles liés à une probable guerre civile à
la douleur puis la douceur d’une naissance. Le nouveau-né ne ressemblant à
personne, on se plaît à espérer pour lui une vie meilleure, paisible, loin des
chiens et des loups.
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