Amos
Oz invente un village, Tel-Ilan, peuplé d’habitants névrosés, obsédés,
malheureux. Chaque nouvelle s’attache à un personnage et distille une
inquiétude diffuse qui finit par laisser comme un goût de film d’horreur.
Personnages fantômes, disparus, phénomènes troublants, inexplicables, Tel-Ilan
semble synthétiser toutes les angoisses d’un auteur dont le dernier opus, Vie
et mort en quatre rimes, ne nous avait pas habitués à un ton aussi
inquiétant. Virage extrême donc pour ce recueil inachevé, troublant, qui
explore le côté sombre de l’âme humaine. Le ton est donné dès la première
nouvelle qui voit apparaître un homme qui se dit en famille avec le personnage
principal et qui finit par s’allonger dans le lit de la mère impotente en la
caressant et l’embrassant, sans que son fils ne s’y oppose. Ailleurs, le
médecin de Tel-Ilan attend en vain son neveu Gideon en permission de l’armée.
Cette attente est un prétexte à une petite virée dans le village, que nous
commençons à découvrir, et surtout à l’évocation de moments passés avec
l’enfant qu’elle aime plus que tout au monde. Plus loin le maire reçoit un
message énigmatique de son épouse : « Ne t’inquiète pas pour
moi », au moment où il s’apprête à rentrer à la maison pour déjeuner avec
elle. Elle n’est pas à la maison et il part à sa recherche dans tout le
village. L’agent immobilier va visiter une maison ancienne qu’il souhaite
acheter et détruire afin d’y reconstruire une maison plus moderne et la
revendre. Accueilli par la fille des propriétaires, une étudiante, il tombe
sous le charme de la bâtisse et de la jeune fille, au point de ne plus
ressortir… un adolescent suit la postière-bibliothécaire, charmante jeune
femme, et entreprend de la séduire. Un vieil homme gâteux qui vit avec sa fille
célibataire croit entendre des bruits sous la maison chaque nuit, comme si on y
creusait. Sa fille n’y croit pas, jusqu’au moment où elle aussi commence à les
entendre… Un couple dont le fils s’est suicidé en se tirant une balle dans la
tempe alors qu’il se trouvait sous le lit parental organise toutes les six
semaines une soirée chants. Lors d’une de ces soirées, un des convives se sent
inexplicablement attiré ailleurs et finit dans la chambre condamnée depuis le
drame. Il croit y voir une forme bouger… Atmosphère inquiétante, troublante,
dérangeante. Le désir y affleure sans jamais aboutir à une histoire d’amour qui
risquerait d’illuminer ces sombres pages. Il ne faut pas y chercher un message,
simplement se laisser porter par cette prose étonnante, qui campe avec
précision un village imaginaire avec des noms de rues, de places, une
géographie hyper-réaliste, par contraste avec ces récits aux intrigues
nettement esquissées mais jamais achevées. Au final, un brillant exercice de
style.
Amos
Oz, Gallimard, janvier 2010
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire