On
connaît Alona Kimhi pour Lily la tigresse et Suzanne la pleureuse,
étonnants portraits de femmes israéliennes contemporaines, miroirs d’un
mal-être au féminin. Moi, Anastasia est un recueil de nouvelles publié
en 1996, soit antérieurement aux romans suscités, ce qui peut nous autoriser à
y voir la genèse d’une écriture intimiste, forte et dérangeante. La première
nouvelle, Films, décrit le triste quotidien d’un couple tel-avivien qui
noie son ennui dans le visionnage de films. Il finit par aller voir ailleurs,
lassé sans doute par la futilité de la demoiselle, qui clôt la nouvelle par
cette phrase : « Il s’appelait Isaac, le nègre. Je viens de me
rappeler. Isaac, c’est son nom. » Souvenir d’une partie à trois avec sa
meilleure amie Nata, et un « nègre » dont le nom lui échappait.
Eclipse de lune évoque la relation
difficile et traumatisante établie entre une jeune immigrée russe et son
beau-père, personnage psychorigide ridicule et effrayant dans ses manies de
propreté et de pédagogie. La fillette doit non seulement supporter
l’intégration dans un nouveau pays avec tous les changements que cela suppose,
mais en plus faire attention à ne pas heurter la sensibilité de cet homme
médiocre et autoritaire. Par amour pour sa mère, elle s’efforce et se force à
la perfection de peur de le voir partir.
Journal de Berlin est sans doute le
clou de ce festival de destins en dents de scie : Gali est internée dans
un hôpital psychiatrique fréquenté par des anorexiques, du personnel médical et
des névrosés en tous genres. Gali est
obèse, dépressive, violente. Elle ne se soigne pas. Autrefois étudiante à
Betsalel, génie artisitique, elle en a été renvoyée car elle dealait
occasionnellement. Parallèlement aux descriptions de ses journées à l’hôpital
et des méandres de sa pensée, on découvre le « Journal de Berlin »,
écrit pendant son séjour dans la capitale allemande.
Poème pour un cauchemar, ou le sevrage
inaccompli de Mor Elkabetz, relate la vie d’une photographe de mode
boulimique, qui éprouve un profond dégoût pour les mannequins qu’elle
photographie et une attirance anarchique et disproportionnée pour la
nourriture.
Le talent d’Alona Kimhi éclate dans ces
nouvelles longues, cruelles, parfaitement construites, toutes écrites à la
première personne, et où pointe sans cesse un humour noir, comme pour mieux
mettre en valeur la dévastation et le vide qui y règnent.
nouvelles
Gallimard, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
éditions
Gallimard, 2008, pour la traduction française
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